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Le blog d'un étudiant en gestion de l'information et de la connaissance

Qu’est-ce que la « systémique », et plus particulièrement la systémique « communicationnelle » ?

Notre société est fondée sur la communication, et n'importe quel élément de temps, de lieu, de cadre présent dans notre vie est susceptible d'être un élément de communication. Yves Winkin rapporte l'exemple d'un étudiant qui attend le vendredi soir que le téléphone sonne, et conclut que « si un téléphone muet est capable de dire quelque chose, alors beaucoup d'autres choses le peuvent aussi. » La communication ne se limite donc pas au message, mais inclut aussi le système, le contexte qui le rend possible et qui peut devenir lui-même message. Joël de Rosnay définit le système « comme un ensemble d’éléments en interaction dynamique organisé en fonction d'un but ». La systémique serait alors une théorie des systèmes, selon un point de vue global, conjonctif, interrelationnel, organisationnel, complexe. L'étude des systèmes se caractérise ainsi par une approche globale, par opposition à l'approche analytique qui sépare les composantes du système pour les étudier. L'approche systémique consiste à considérer les composantes d'un système dans leur totalité, leur complexité et leur dynamique propre. On distingue cependant la systémique de première génération dit « classique », de la seconde génération dit « communicationnelle ». Si cette dernière consiste à analyser et comprendre une dynamique interractionnelle à l'aune d'une véritable logique de la communication, comment se définit-elle par rapport à la systémique « classique » ? Et en quoi le fait de se centrer sur les « relations humaines » transforme-t-il la systémique ? Dans un premier temps nous interrogerons la notion de systémique « communicationnelle » en analysant l'évolution convergente des notions de communication et de systémique, ce qui conduit à placer la notion de « relation humaine » au centre de la démarche. Puis nous verrons comment différentes modalités d'applications de la systémique communicationnelle en matière de relations humaines permettent une modélisation de la complexité. Ceci nous amènera à envisager dans un dernier temps les avantages et les inconvénients d'une théorie des systèmes qui accorde à l'humain, et donc à l'imprévisibilité et à la subjectivité, une place prépondérante.

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La systémique « communicationnelle » résulte d'une évolution convergente des notions de communication et de systémique, ce qui la conduit à placer la notion de « relation humaine » au centre de sa démarche.
Parlons de la systémique d'abord, issue de l'héritage des théories holistiques (du grec holos, qui signifie « tout »). Cette théorie a surtout été développée par le physiologiste Ludwig von Bertalanffy dans la Théorie générale des systèmes en 1947. Son propos permettait d'introduire la notion de système, considérant que pour comprendre des ensembles, il est nécessaire de connaître non seulement les éléments mais encore leurs relations et qui plus est, leurs interactions avec l'environnement. En reprenant les travaux sur la cybernétique formalisés par le mathématicien Norbert Wiener, Ludwig von Bertalanffy mettra en avant les fondements d'une démarche ensembliste en s'appuyant sur les notions de totalité émergente et d’homéostasie, de principe d’équifinalité, de « rétroaction » et de contrainte dans tous systèmes.
Cependant, si la systémique « classique » tend à modéliser la complexité du système et s'applique d'avantage aux démarches mécanistes informationnelles, l'évolution convergente de la théorie des systèmes et de la communication ont amené les systémiciens à s'interroger sur l'importance du système relationnel et linguistique dans nos sociétés. On peut donc dire que la systémique « communicationnelle » est au carrefour de transformations qui touchent à la fois les notions de systémique et de communication. L'évolution vers la systémique « communicationnelle » est ainsi née avec l'école de Palo Alto dans les années 50, sous l'impulsion des travaux de Paul Watzlawick dans Une logique de communication et de ceux de l'anthropologue Grégory Bateson grâce à son livre Vers une écologie de l'esprit. Leurs idées ont permis d'ouvrir l'analyse systémique au domaine social et psychologique, afin d'envisager une nouvelle approche communicationnelle s'appliquant exclusivement aux relations humaines. Celles-ci deviennent alors le centre d'une théorie des systèmes, qui comprennent alors les personnes ainsi que leur environnement et leurs attributs.
Les idées de Palo Alto ont donc permis à Watzlawick de repenser la notion de communication, notamment en termes de relations humaines. Pour ce théoricien, tout communique avec tout dans une interdépendance organisée. La non-communication n'existe pas et demeure paradoxalement un acte communicationnel. Bref, selon lui, « on ne peut pas ne pas communiquer ». Cette « nouvelle communication » a été reformulée dans les années 80 par Yves Winkin qui ne la définit plus comme « une simple relation à deux, un message transmis d'émetteur à récepteur, mais comme un système composé d’interactions circulaires, un orchestre dont chacun fait partie et où tout le monde joue en suivant une partition invisible et répétitive ». Dès lors, la communication n'est plus un acte de persuation et de pouvoir dans un but intentionnel d'atteindre une cible, mais le message se trouve englobé dans la notion de « relation ». La systémique « communicationnelle » cherchera alors à dépasser cette notion d'influence que peut avoir la communication classique, en tant que pouvoir de persuasion sur les individus, centrée sur les messages informationnels, notamment en mettant en jeu d'autres modes de communication non verbale comme la gestualité, la kinésie.


La systémique « communicationnelle » place ainsi la relation humaine au centre du système et trouve son domaine d'application dans tout système d’interaction entre individus, du moment où l'on cherche à comprendre les relations humaines dans leur environnement inter-communicationnel. Ses applications sont donc extrêmement vastes, nous nous limiterons pour notre part à l'analyse de deux types d'applications, qui envisagent la systémique communicationnelle comme modélisation de la complexité.


Winkin rappelle que « nous sommes tous comme immergés dans l’immense orchestre qu’est la société ». Notre société est ainsi centrée sur l'organisation des relations humaines, le système développant des propriétés autorégulatrices. Ce système se caractérise par sa complexité, dûe à son fort degré d'organisation, à l'incertitude de son environnement et à la difficulté ou à l'impossibilité d'identifier tous les éléments et toutes les relations en jeu. Il arrive alors qu'il présente un certain degré d'entropie, d'incertitude ou des dysfonctionnements, des problèmes qu'il faut résoudre. La systémique « communicationnelle » propose alors une modélisation de cette complexité.
Le domaine de la psychologie a ainsi recours à l'approche systémique afin de modéliser la complexité des situations vécues par les individus. Dans une thérapie du type « analyse systémique » par exemple, le patient n'est pas isolé par l'analyse car il s'agit d'accorder de l'importance aux différents systèmes dont il fait partie (familial, professionnel, social, etc.). On considère que le patient est influencé à la fois par ses intentions, celles des autres, et celles des possibilités du milieu et/ou du système. Cette théorie des systèmes appliquée aux relations humaines a influencé par exemple les thérapies familiales, où il s'agit d'observer les processus de communication à l’intérieur du système de la famille. Au lieu de s’intéresser aux spécificités d’un individu (symptômes, mécanismes de défense, traits de personnalité), on privilégie l’examen des interactions de l’individu en réponse aux sollicitations produites par les autres membres d’une famille, c'est à dire un système homéostasique imprévisible. Toujours sur le terrain de la psychologie, les thérapies brèves se sont développées sur le modèle de l'analyse systémique. On cherchera alors à s'écarter volontairement de la recherche des causes pour ne considérer que le présent dans sa complexité, et le système de relations qu'entretient la personne avec son environnement.
Mais la systémique communicationnelle ne s'applique pas à la seule logique thérapeutique. N'oublions que pas que l'enjeu d'une lecture systémique, son mode d’application s’inscrit dans une approche globale de la complexité. Cette complexité, issue de dynamiques paradoxales, trouve son terrain de jeu dans les stratégies d'entreprise, système à composantes humaines par définition, dont l'analyse systémique va permettre de conduire ou d'accompagner des actions de changement. A ce propos, l'école de Palo Alto apporte un nouveau regard pour aider des personnes ou des entités à mieux fonctionner où à s’adapter à de nouvelles exigences d’ordre économique, technologique ou social. Dans Manager par l’approche systémique, Dominique Bériot se demande «comment mettre en œuvre, dans de bonnes conditions tant pour les salariés que pour l’entreprise, les changements nécessaires à son adaptabilité». Il propose un modèle d'application de l’approche systémique du changement dans l’entreprise, « un référentiel d’accès à la complexité, une sorte de métamodèle qui sert de cadre de référence pour progresser par régulations successives afin d’adapter la dynamique d’un système aux résultats qu’il souhaite atteindre », car « au-delà de la complexité se cache un ordre constitué d’éléments invariants ». Quelques soient les situations professionnelles qui se répètent, il est important pour résoudre les stratégies d'entreprise d'élaborer des axiomes, que Dominique Bériot schématise ainsi :
Étape 1 : Cadrer la demande
Étape 2 : Représenter l’impact des acteurs
Étape 3 : Elaborer une démarche stratégique
Étape 4 : Engager une dynamique de changement
Étape transversale : Réguler le système
Il conclut en soulignant que cette nouvelle manière d’appréhender les systèmes humains relève d’une approche qualitative intégrant certains aspects quantitatifs pour faire évoluer leur dynamique.


Ainsi ces applications en psychologie ou en management et gestion de l'entreprise montrent comment la systémique communicationnelle permet une modélisation de la complexité des situations. Le succès que cette théorie des systèmes rencontre dans certains champs disciplinaires amène à s'interroger sur les avantages de cette approche par rapport à une systémique plus classique, mais aussi, sur ses inconvénients. S'attacher aux relations humaines implique en effet de faire entrer une certaine part d'incertitude et de subjectivité dans le système.


Nous avons dit que la systémique classique relevait d'une démarche ensembliste et cherchait à quantifier, modéliser, simuler, en fonction de chaînes de causes et d’effets qu’il s’agissait de déterminer de façon rigoureuse, afin de prévoir les phénomènes à venir. On est donc dans un schéma quantitatif où un ensemble de phénomènes permet d'atteindre un objectif défini. Avec la seconde systématique dite communicationnelle, on entre dans le qualitatif dans le sens où l'entité complexe d'un système contient de l'imprévisible, par exemple le conflit humain ou l'incertitude économique, susceptible d'apporter du changement ou de modifier le système. En analysant un système, le résultat peut donc tout à fait aboutir à un tout autre résultat espéré, sans exclure le changement de système. C'est un des avantages de la systémique communicationnelle par rapport à la systémique classique, l'ouverture sur l'imprévisible à partir de la totalité émergente d'une complexité, alors que la systémique classique ne semblait organiser collectivement que du prévisible.
L'inconvénient principal de la systémique communicationnelle est d'inférer que le principe de relation est le système central de la communication. La « nouvelle communication » fait de la communication une fin en soi et non plus un moyen, un médium pour transmettre une information, une connaissance. Ainsi, la systémique communicationnelle en tant qu'étude des systèmes de communication semble être une métacommunication peut-être un peu vide de sens. En effet l'information selon Winkin, n'est plus une réalité objective et constante, mais « émerge à travers les interactions ». En sortant du schéma classique de la communication, centré sur un message avec une cible à atteindre, la systémique communicationnelle englobe tout contenu, tout message dans une forme complètement immatérielle, celle de la relation. En psychologie par exemple, on va chercher à privilégier les modes de communication non verbale, les comportements corporels d'interdépendance relationnelle par opposition à la communication verbale classique qui privilégie les relations de transmissions de messages unilatéraux d'émetteur à récepteur.
Par ailleurs, on peut se demander si la perte d'objectivité de la notion d'information, englobée dans une totalité émergente relationnelle, donc dans la communication, ne privilégie pas en même temps la représentation subjective au détriment d'une position objective et durable liée à l'information. En d'autres termes quelle connaissance est constituée par la systémique communicationnelle ? Cette approche ne produirait en effet que des informations immédiates et relatives, contrairement à la systémique classique, qui permet de valider les hypothèses informationnelles qui étaient en jeu au départ, donc de renforcer la valeur de l'information. De ce fait, ce manque d'objectivité sera comblé par l'importance accordée aux axiomes, par exemple dans l'ouvrage de Watzlawick, Beavin et Jackson, Une logique de communication, qui permettront aux systémiciens de retrouver un savoir commun, des informations d'une vérité indémontable et indiscutable.



La prise en compte des relations humaines et l'évolution des théories de la communication a donc permis de transformer la systémique et de la faire évoluer vers une systémique communicationnelle. Cette théorie des systèmes, en mettant la relation au centre de la démarche, se démarque alors d'une systémique plus classique et trouve de nombreuses applications, car elle propose une modélisation de la complexité des situations. Centrer un système sur la relation humaine revient en effet à introduire un certain quotient d'incertitude et de subjectivité, ce qui peut se révéler un avantage ou un inconvénient selon les situations. La systémique communicationnelle répondrait donc mieux certains problèmes que l'approche classique : Watzlawick remarque ainsi que « plus une relation est spontanée et saine, plus l'aspect relation de la communication passe à l'arrière-plan. Inversement les relations malades se caractérisent par un débat incessant sur la nature de la relation et le contenu de la communication finit par perdre toute importance. » La systémique communicationnelle serait alors d'autant plus nécessaire que la relation est malade ; ne trouverait-elle pas en définitive ses applications à soigner le monde malade de sa complexité et de son hypermodernité ?

1 commentaires:

Unknown 4 mars 2021 à 01:21  

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